[ENQUÊTE] Radio Numérique Terrestre (RNT), je t’aime, moi non plus

Tours 2017

15 Mar 2017

6 minutes de lecture

Et si nous laissions de côté la bonne vieille bande FM ? À l’heure du tout numérique, seule la radio semble résister. Pourtant, la volonté est digitaliser également ce support. Le CSA parle du meilleur, d’autres évoquent le pire.

La Radio Numérique Terrestre est un vaste projet de modernisation du réseau radiophonique, qui depuis des années peine à voir le jour. Photo : Hugo Noirtault

Depuis le début des années 2010, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) songe très fortement à basculer sur la radio numérique terrestre (RNT), une sorte de TNT mais pour les transistors. L’objectif est de ne plus émettre par des ondes, mais par des fréquences binaires, comprises par des ordinateurs. Tel que présentée par le CSA, la RNT est pleine d’avantages : meilleure qualité, plus de choix de stations… Mais cela suppose de rééquiper tous les foyers et toutes les voitures avec des équipements adaptés. Des investissements contraignants mais nécessaires selon le CSA, soutenu par Radio France, mais inutile selon les groupes privés. Pour Europe 1, NRJ, RMC ou encore RTL, l’avenir se trouve plutôt dans la webradio. Et ce refus des grandes radios nationales risque bien de compromettre le passage à la RNT.

« Les équipements FM sont vieux »

Pour découvrir la radio numérique, direction Oslo. Connue pour sa neige, ses élans et son étrange alphabet, la Norvège s’est aussi faite remarquer en début d’année grâce à son DAB (Digital Audio Broadcasting), la version anglaise de la RNT. Depuis le 11 janvier, le pays scandinave est le premier à avoir débranché sa bande FM. Mais la décision de passer au DAB n’est pas nouvelle. Dès 1995, la NRK (la radio-télévision publique norvégienne) lançait sa première station totalement numérique. “La décision de passer au DAB a été prise en 2011, explique Øyvind Vasaasen, responsable du projet DAB à la NRK. Nous allons couper la bande FM région par région, pour qu’elle disparaisse d’ici la fin de l’année.”  Dans le grand nord, cette transition a des avantages pratiques et économiques. “Les équipements FM sont vieux. Et les réparer coûterait plus cher que de passer au numérique, poursuit Øyvind Vasaasen. Le but est bien sûr de ne pas perdre d’auditeurs, mais nous considérons que le DAB est nécessaire pour moderniser la radio. La question n’était pas de savoir si nous allions le faire ou non, mais de savoir quand.”

Plus près de chez nous, la Suisse devrait être le prochain pays à effectuer le digital switch over (basculement de la FM au DAB). Mais la France, elle, est à la traîne et est encore loin d’effectuer cette transition.

La mutinerie des radios privées contre le capitaine CSA

Ce retard à l’allumage, les grands groupes privés en sont en grande partie responsables. RMC, Europe 1, RTL ou encore NRJ ne croient pas en l’avenir de la RNT. “[Nous] sommes convaincus que l’avenir de la radio numérique se fera via les réseaux IP”, ont-ils expliqué lesdits groupes privés devant le CSA fin mai 2012. Selon eux, la principale raison est “l’absence de modèle économique viable pour la RNT”. Un investissement trop cher pour ces radios, par rapport aux webradios, gratuites. Les radios privées misent d’ailleurs tout sur le web. Le groupe NRJ héberge près de 200 webradios, pour toucher tous les publics. De NRJ R’N’B à NRJ Reggae, en passant par NRJ fitness, il y en a pour tous les goûts. Si les radios font tout pour être écoutées, les faire parler est plus compliqué. Sollicitées par nos soins, toutes ont fait la sourde oreille.

« La RNT n’est pas une alternative à la FM »

Mais malgré ces réticences, le CSA compte forcer la main. Après des essais à Paris, Marseille et Nice, le conseil supérieur de l’audiovisuel souhaite une couverture totale du territoire d’ici 2023. Un défi compliqué quand on sait que seul 20% du pays possède la RNT aujourd’hui. “Mais la FM ne s’est pas construite d’un coup non plus”, expliquait Patrice Gélinet à Télérama en décembre 2016. Pour l’ancien membre du CSA,“il faut accepter la lenteur de ce processus. La RNT n’est pas une alternative à la FM. Une des erreurs du CSA dans le passé a sans doute été de considérer qu’il fallait l’imposer comme telle.” Aujourd’hui, une des clés du renouveau de la RNT en France est la récente adhésion du groupe Radio France au projet. Ainsi, sous l’influence de la ministre de la Culture Audrey Azoulay, trois stations du groupe sont passées sur la RNT : Mouv’, Fip et RFI. “Un départ, un signe” pour Patrice Gélinet. Mais des débuts timides pour le service public, qui a encore cinq stations sur la bande FM. Les transitions de France Inter, France Culture ou encore France Musique ne sont pas prévues faute de moyens.

Pour l’heure, seul six acteurs français sont membres de la WorldDAB, l’institution qui gère la transition vers la radio digitale dans le monde. Parmi les tricolores, France Médias monde (Rfi, France24) et Radio France, mais aussi les diffuseurs d’audiovisuel TDF et Digidia, ainsi que les entreprises spécialistes de l’électronique automobile Parrot Automotive et Clarion. Car la voiture est l‘un des principaux enjeux de la RNT. Un enjeu qui fait d’ailleurs peur aux Norvégiens. “Notre principal défi ce sont les véhicules. Tout le monde écoute la radio au volant. Aujourd’hui, seules trois voitures sur dix sont équipées pour la radio numérique en Norvège.” Passer au numérique nécessite un ré-équipement important de son véhicule. Une démarche qui coûte environ une centaine d’euros chez un garagiste.


Infographie de popoutmag.com, basée sur une étude Edison Reasearch

La RNT pour se différencier

Outre Radio France, d’autres groupes, moins connus mais pas moins écoutés, font le pari de la RNT pour se démarquer. Parmi eux, le groupement Les indés radio. Fondées en 1992, ces 132 stations locales (Alouette, Totem, Tendance Ouest…) représentaient la meilleure part d’audience en France en janvier 2017 (15,7% selon Médiamétrie), loin devant RTL (12,7%) ou encore le groupe NRJ (10,7%). Des résultats obtenus sur la bande FM. Mais le groupe mise aussi sur le numérique pour devancer les groupes privés.

Malgré les efforts, la RNT semble aujourd’hui au point mort. Quant la quasi-totalité des Français connait et utilise la télévision numérique terrestre (TNT), 75 % d’entre eux n’ont même jamais entendu parler de son équivalent radiophonique. Il ne faut donc pas s’étonner que le nombre de récepteurs RNT atteigne à peine les 400 000 en France.

Maxime Taldir et Hugo Noirtault