Yvette Murekasabe et Ali Al Makri sont tous les deux des anciens résidents de la Maison des journalistes. Ils ont été invités à une conférences sur le sujet, vendredi. Captures d’écran : Tiffany Fillon
Yvette Murekasabe et Ali Al Makri ont quitté leurs pays respectifs en 2015. Exilés en France, ils ont été pris en charge par la Maison des journalistes, une association spécialisée. Vendredi, pendant une conférence aux Assises de Tunis, ils ont raconté au public leurs parcours poignants.
Dans l’une des salles de la Cité de la culture, où ont lieu les Assises de Tunis, Yvette Murekasabe, une petite femme mince aux cheveux très courts, prend la parole après une brève présentation de la Maison des journalistes : « Dans mon pays, enlisé dans une crise politique depuis 2015, j’avais publié un reportage radio qui ne plaisait pas au pouvoir. Je dénonçais la violation de la constitution burundaise par le président qui avait brigué trois mandats alors que la loi n’en prévoyait que deux au maximum. J’ai été poursuivie pour cela et menacée de mort au point que j’ai du fuir le pays clandestinement. »
De l’autre côté de la table, Ali Al Malkri, un petit homme en costume, est lui aussi un opposant politique dans son pays. « Mes articles, par exemple sur la consommation d’alcool, ont provoqué un tollé chez les autorités et les fanatiques religieux. Ces derniers m’envoyaient des menaces », se souvient-il. A l’image de la population civile au Yémen, il a vécu de plein fouet la guerre qui oppose la coalition menée par l’Arabie Saoudite et les rebelles houthies. « Une brigade de l’armée a été bombardée à côté de mon domicile, au moment même où j’allais produire un article sur cette guerre. La détonation était si forte. Elle m’a plongé dans la terreur », détaille-t-il.
Malgré sa détermination, la peur de mourir sous les bombes a pris le pas sur son combat pour la liberté de la presse. Traumatisé, il est parti avec l’un de ses enfants et son frère pour se réfugier dans un hôtel. Là-bas, il a écrit sur Facebook ce qu’il venait de se produire. « Je n’avais plus les mêmes positions politiques que le journal pour lequel je travaillais », justifie-t-il.
Sur la route de l’exil
Ce départ précipité les a tous les deux poussés à se réfugier dans un ou plusieurs pays. Yvette Murekasabe a du payer un passeur pour se rendre au Rwanda, pays voisin du Burundi. Là-bas, elle a récupéré son visa, envoyé par l’ambassade de France, pour venir en France.
Pour Ali Al Makri, le chemin a été plus tortueux. Ce journaliste-écrivain a été invité par une bibliothèque anglaise pour présenter son livre. Son rêve, c’était d’aller vivre en Grande-Bretagne. Mais il du se rendre en Égypte pour récupérer son visa. Puisqu’il ne l’a pas obtenu, il est allé le chercher à Djibouti. Le temps qu’il reçoive son visa, il était trop tard. Désemparé, il a perdu l’inspiration : « Alors que l’écriture était mon activité quotidienne, j’étais incapable d’écrire. Tout me rappelait la guerre, même une porte qui claque. » Pourtant, c’est son talent qui lui a sauvé la vie. En France, il a été invité pour recevoir un prix littéraire pour son roman. Cette fois-ci, il a pu s’y rendre. Sachant qu’en Egypte, il pouvait être emprisonné pour son roman, il a décidé de rester en France.
« Je me considère comme un enfant du siècle des Lumières »
En France, Yvette Murekasabe et Ali Al Makri ont tous les deux été recueillis par la Maison des journalistes. L’association les a aidés à obtenir le droit d’asile et publie leurs articles sur le site internet de la Maison. Ils font aussi partie de « Renvoyé spécial », une opération d’éducation aux médias mise en place par la Maison. Dans les écoles françaises, ils racontent leurs histoires pour sensibiliser les jeunes au respect de la liberté de la presse et pour leur ouvrir les yeux sur la réalité de la migration.
« Ma place est au Burundi »
Aujourd’hui, Ali est toujours journaliste et écrivain. Son prochain livre sortira d’ailleurs bientôt en France. « Ici, je jouis d’une grande liberté. Je me sens chez moi et je me considère comme un enfant du siècle des Lumières », avance-t-il. A son plus grand regret, Yvette Murekasabe n’est plus journaliste. Médiatrice sociale, elle aide les personnes en situation de précarité énergétique pour le compte d’une grande entreprise française. Mais son premier métier et son pays lui manquent : « J’aimerais bien rentrer chez moi, que la situation se stabilise au Burundi pour que je reprenne mon activité de journaliste. Ma place est au Burundi. »
Khouloud Hamdi et Tiffany Fillon